Chère collègue, Merci de votre réponse rapide et claire. J'ai bien lu votre blog dont j'ai bien compris qu'il n'engage que vous. Et, si vous le permettez je vais tenter de vous expliquer ce qui s'est passé et tant pis si c'est différent de ce qu'écrivent Annie Sartre et Hala Kodmani. Si je puis me permettre, il est dommage que vous ayez publié votre texte sans prendre directement contact avec nous dont vous connaissiez les noms. C'est bien regrettable car c'aurait été de bonne méthode et, de plus, cela vous aurait permis à la fois de mieux comprendre ce qui nous a motivé et d'éviter certaines approximations. Tout d'abord, sachez que l'initiative de cette rencontre vient de nous et non de la DGAMS. Nous, cela veut dire mon équipe au sein du laboratoire AOROC. Cela s'est fait ouvertement, mais sans l'appui de quiconque d'officiel étant donné les strictes directives gouvernementales. La raison de cette initiative tient à notre souci de soutenir de toutes nos forces l'action du directeur de la DGAMS, le Pr Maamoun Abdul Karim, homme remarquable qui s'adonne à son travail d'une manière qui force le respect : il a sauvé l'essentiel des collections de plusieurs musées syriens dans des conditions souvent difficiles (à Deir ez Zor, cela a entraîné la mort de quatre personnes) et se bat pour maintenir les salaires de tous les membres de la DGAMS, y compris dans les zones rebelles ou celles tenues par Daesh. Mais ce Directeur est bien seul car plusieurs de ses collaborateurs sont partis volontairement pour trouver des postes en France, en Europoe ou aux Etats-Unis (je n'en connais aucun qui ait été expulsé, comme vous le dites). Je connais Maamoun Abul Karim élève de G. Tate et doctoré et habilité à la Sorbonne. Nous sommes très proches. Il considère que son devoir est de rester à son poste pour pouvoir agir au mieux des intérèts du patrimoine syrien, sans qu'on puisse en faire un nervi du pouvoir. Il est comme la plupart de ceux qui vivent (mal) dans les régions contrôlées par le gouvernement (les Sartre disent "le régime et ses affidés"), sans que cela implique une quelconque soumission au parti du président. Il fait son travail et il le fait remarquablement bien. En quoi, nous qui vivons tranquillement en France avons le droit de critiquer le meilleur des directeurs que la DGAMS ait jamais eu ? C'est pourquoi, quand nous avons craint de le voir flancher face aux responsabilités et aux violentes critiques de ceux qui sont tranquillement installés en France et qui, jusqu'à il y a cinq ans, s'accomodaient fort bien du "régime" en place, il nous a paru important de manifester à notre ami Maamoun notre soutien et notre admiration. Nous avons donc organisé cette rencontre qui a suscité l'approbation de nombreux collègues, mais à laquelle seuls ceux qui ne sont pas (ou plus) en poste pouvaient participer (et, bien sûr, à leurs frais). De même, nos amis de l'étranger ont été immédiatement volontaires (au total sept pays ont été représentés). En fait nous avons limité nos propositions pour éviter le grand nombre. Cela dit, en dépit des violentes critiques dont nous avons été victimes - dont certaines répugnantes attaques ad hominem - nous ne regrettons pas notre action qui n'a rien d'un engagement politique. Je voudrais bien qu'on nous explique à quoi les invectives françaises ont servi (outre le fait de faire perdre la place de la France dans l'archéologie syrienne). Qui s'élève contre le régime turc ? Qui attaque ceux qui travaillent en Israël, en particulier dans les territoires colonisés ? Qui critique ceux qui opèrent en Arabie Saoudite, au Yémen et plus généralement dans le Golfe ? Il ne faut pas surestimer notre pouvoir politique, surtout s'il s'agit de reprendre la chanson unanime de presque tous les média français (dans les autres pays proches, elle est beaucoup plus nuancée). Avant de distribuer des oukazes il faudrait peut-être avoir une véritable démarche d'historien et ne pas se contenter de sources approximatives et de l'air du temps. En nous rendant auprès du Pr Abdul Karim, nous avons accompli une oeuvre bien plus utile que tous ceux qui nous insultent. Nous savions que cela arriverait et nous l'avons fait en connaissance de cause. Le général allemand qui a refusé de faire sauter Paris savait aussi ce qu'il risquait et il l'a tout de même fait. Mais là où je ne suis pas d'accord, c'est quand on se sert de ces oppositions politiques pour bloquer le travail scientifique des collègues. Comme d'amener De Gruyter à refuser la publication du Pr Matthiae. Il y a là un précédent très dangereux ! Va-t-on demander maintenant à chaque chercheur de faire une déclaration publique d'opposition au gouvernement non démocratique du pays dans lequel il travaille ? Que serait alors l'archéologie française en Turquie que vous connaissez bien, dans les "territoires", sans parler du Golfe. Je le répète, c'est là un précédent dangereux et je me permets de vous dire que je regrette que vous ayez pris ce chemin. Bien cordialement Pierre Leriche